Le réveil finit enfin par sonner. Cela faisait déjà une bonne heure qu’Albert attendait patiemment dans son lit qu'il sonne. Il faisait encore nuit, mais le temps qu'il se rende à la marina, le soleil se lèverait et il serait juste à temps pour partir à la pêche.
Il avait vu l'annonce pour louer le bateau il y a deux mois. Cela l'a travaillé beaucoup. Il n'avait pas été à la pêche depuis plusieurs années, pas depuis que sont père était mort dans un tragique accident de la route. Il n'avait jamais été à la pêche sans lui, et il avait l'impression, d'une certaine façon, de le trahir et d'un autre côté, il aurait l'impression d'honorer sa mémoire. Il avait donc gardé l'annonce et, de temps en temps, la regardait, hésitant à se commettre. Ce qui l'avait finalement décidé à faire l'appel pour réserver, c'est quand il avait vu la date sur le calendrier : 6 août. Le dernier voyage de pêche avec son père avait été le 13 août.
Ce dernier voyage remontait il y a très longtemps. À ce moment, Albert n'avait que 17 ans mais il s'en souvenait comme si c'était hier. Une fois par été, son père louait un bateau, toujours le même, un bateau qui avait déjà été bleu mais qui maintenant, était plutôt couleur "bois mouillé". La cabine qui abritait le poste de pilotage était complètement sur le devant, donnant un air de déséquilibre au bateau. Il portait probablement le nom de son premier propriétaire, "Le Mathusalem". Et le capitaine, George de son petit nom, avait l'air d'en être le fils, mais son expérience à manœuvrer le bateau et à trouver les meilleurs endroits laissait croire qu'il était peut-être même plus âgé que son bateau. Il était un homme sympathique qui acceptait ses limites et son âge. Il se contentait maintenant d'aller à la pêche avec les touristes. Ils n'étaient pas encore partis depuis plus d'une heure, qu'un orage imprévu les a forcés à rentrer les lignes et à se réfugier à l'intérieur de la cabine. Lorsque l'orage s'éloigna, un magnifique arc-en-ciel double était visible. Ils ont suivi l'orage aussi longtemps qu'ils ont pu pour prolonger la vie de cet arc-en-ciel. Le capitaine avait l’habitude de graver un ou deux mots lors des événements extraordinaires qui arrivaient sur son bateau. Il en grava 3 : Arc-en-ciel plutôt que poissons. Ils sont revenus bredouilles cette fois-là. Mais le père d'Albert a dit lors des rencontres des Fêtes cette année-là que cet arc-en-ciel avait été la plus belle prise de sa vie.
Son père mourut le mois de février suivant, sur une route glissante lors d'une tempête de neige.
Sa femme était chez sa mère pour encore 2 semaines et le plus jeune des enfants s'était pris un appartement en ville, les autres ayant quitté le nid familial il y a déjà bien longtemps. Il a donc voulu réserver pour le 13. La chance n'était pas du côté d'Albert. Pas de place. Il a dû prendre le 20 août, qui était une date vide de sens, mais la seule encore disponible à si courte échéance.
Tous ses temps libres de la semaine précédant le 20 août ont été utilisés pour se préparer à son voyage. Il a été s'acheter une nouvelle ligne à pêche, des bottes, un imperméable, au cas où pleuvrait. Il a fait des recherches pour trouver les meilleurs endroits pour pêcher. La veille de son départ, il a mis tout son barda dans la voiture, il a été faire le plein d'essence, fait vérifier l'huile. Tout était prêt pour son départ. Il sentait une tension, une pression énorme, comme il n'avait pas senti depuis longtemps. Ce n'était pas la même chose que dans les « rush » à son travail. C'était quelque chose d'agréable, cette anticipation, cette attente du voyage imminent. Les dernières fois qu'il avait senti ça, c'était à la naissance de ses trois enfants, à son mariage, lors de la première rencontre avec sa femme, et lors des voyages de pêche avec son père.
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Le trajet vers la marina sembla court. Il arriva exactement à l'heure prévu, le soleil à peine visible au-dessus de l’horizon, mais il avait l'impression de tout juste sortir du parc près de chez lui. Au quai de la marina, il y avait un seul bateau de pêche visible, tous les autres étaient des bateaux de plaisance, des voiliers et quelques catamarans. Le bateau de pêche était d'un rouge éclatant, difficile à manquer. Comme Albert s'approchait, le bateau lui semblait familier, avec sa cabine sur le devant du bateau, pour laisser toute la place aux pêcheurs derrière. Quand il put finalement lire le nom, il fut si surpris, qu'il en échappa tout son bagage. "Le Mathusalem".
Un jeune homme dans le début de la vingtaine sorti de la cabine, monta sur le quai pour venir à sa rencontre.
"Bonjour Monsieur Albert, Je suis Ronald, le matelot. Le capitaine est un peu en retard ce matin. Laissez-moi vous donner un coup de main"
Le matelot ramassa la ligne et le coffre de pêche d'Albert. Albert monta sur le bateau et en fit le tour. Il entra dans la cabine et chercha les mots que le capitaine avait gravés pendant la poursuite de l'arc-en-ciel. Ils étaient là. C'était bien le même bateau. La couleur avait changé, mais tout concordait. La vitre arrière craquée dans le coin, l'échelle tordue pour monter sur la cabine, tout était pareil. Le hasard de la vie l'avait mis sur le chemin du bateau qui lui avait permis de poursuivre l'arc-en-ciel.
"Bonjour Capitaine”, entendit-il Ronald crier. Albert songea un instant si c’était possible que ce soit le capitaine George. Un petit calcul mental lui confirma que c’était pratiquement impossible. Le capitaine de son enfance était à la retraite ou encore, plus vraisemblablement, décédé. Il sortit pour saluer le capitaine à son tour. Sur le quai, en train de monter sur le bateau, il vit son père.
“Bonjour Albert” dit son père. “Viens, c’est moi qui vais te conduire pour ton dernier voyage...”
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L’aube se pointe, Il reste encore un bon 30 minutes avant que le soleil se lève. Les gyrophares des voitures de police et de l’ambulance permettent d’entrevoir une voiture qui avait embouti un arbre juste à la sortie du parc. Autour de la voiture, il y a de l’équipement de pêche. On peut voir le conducteur, encore attaché dans la voiture. Il a le crâne ouvert et sur son visage, un grand sourire. Albert a l’air heureux.
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Je voulais écrire quelque chose de joyeux, un peu poétique. J'ai pensé à la mer, les bateaux qui quittent le port au lever du soleil et une chasse aux arcs-en-ciel... Et ça a donné ceci, qui n'est pas ce à quoi je m'attendais. Merci subconscient de faire équipe avec mon imagination pour me faire passer pour quelqu'un de "dark". Comme si j'avais besoin de ca. Pffft.
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